Depuis sa création, le logiciel libre WordPress n’a cessé de se développer. On estime que plus d’un tiers des sites web l’utilisent, des blogs indépendants aux sites de e-commerce en passant par des sites d’actualité majeurs. Derrière ce succès se cachent Matthew Mullenweg, le co-auteur de WordPress, la société éditrice Automattic ainsi que les deux entités distinctes WordPress.com et WordPress.org.
Pour mieux comprendre les enjeux qui en résultent, voici un point complet sur les dernières tendances de WordPress à l’initiative de Matthew Mullenweg, et les conséquences pour la communauté des utilisateurs.
Matthew Mullenweg et la société Automattic
Informaticien de génie, Matthew Mullenweg crée avec Mike Little le logiciel WordPress en 2004, à l’âge de 20 ans seulement. L’année suivante, il fonde la société Automattic dont il est encore aujourd’hui le PDG. Spécialisé dans l’édition de logiciels, Automattic développe et distribue principalement la solution WordPress sous sa version commerciale. C’est à partir de 2012 que ce CMS se popularise et devient une référence dans le monde.
Aujourd’hui, l’hégémonie de WordPress est écrasante parmi les systèmes de gestion de contenu puisqu’il est employé par 34,7 % des sites web existants, faisant de lui le numéro 1 mondial dans son domaine. En comparaison, Joomla et Drupal, qui complètent le podium, ne sont utilisés respectivement que par 2,7 et 1,7 % des sites !
Les différences entre WordPress.com et WordPress.org
Pour comprendre le fonctionnement global de WordPress et d’Automattic, il est important de faire le distinguo entre WordPress.com et WordPress.org.
WordPress.com joue un rôle de plateforme d’hébergement pour permettre à tout un chacun de publier facilement du contenu en ligne. Il s’agit de la version commerciale du logiciel libre WordPress. Elle est hébergée et enrichie de manière constante par les équipes d’Automattic. Cette version offre une solution clé en main pour créer et développer son propre blog, sans avoir besoin de connaissances techniques particulières. Outil de blogging incontournable, il compte une immense communauté d’utilisateurs à travers le monde. Apprécié pour sa facilité, WordPress.com est disponible de manière gratuite ou payante pour profiter de fonctionnalités supplémentaires.
Si WordPress.com est une entreprise commerciale, WordPress.org constitue quant à lui le site proposant la version open source originale de WordPress. Il est possible de l’utiliser également pour créer son propre site, sans devoir faire face aux limitations propres à la version commerciale. En revanche, il faut payer un hébergeur pour que le site créé puisse être disponible en ligne. WordPress.org donne accès à des fonctionnalités plus importantes, mais l’utilisateur n’est accompagné à aucun moment dans la phase de création. C’est donc à lui d’assumer la maintenance technique de son site, ce qui implique des compétences plus étoffées en informatique.
Proches sans être directement liés, les deux sites s’adressent donc à des publics différents. WordPress.com permet aux débutants de créer facilement un site fonctionnel. WordPress.org offre une expérience plus complète et convient pour les sites vitrines, les plateformes e-commerce, les sites d’entreprises et le blogging pro.
Les acquisitions récentes d’Automattic
Au cours des dernières années, Automattic a mené une politique de rachat agressive autour de WordPress.org. Un objectif clair se dégage : acquérir les compagnies les plus populaires dont le fonctionnement est basé sur la solution WordPress.
On peut comptabiliser 11 acquisitions de la part de la société, pour des montants relativement importants (même s’ils ne sont pas connus pour toutes les transactions). Le rachat le plus important a eu lieu en 2015 lorsque la société a pris le contrôle de WooCommerce. Cette extension dédiée aux sites d’e-commerce comptait alors 7,5 millions de téléchargements. Un montant de 30 millions de dollars a été évoqué pour ce rachat.
Pour mener à bien cette stratégie d’acquisition, Automattic a procédé dès 2014 à une levée de fonds de 160 millions de dollars. L’e-commerce est devenu l’un des enjeux importants pour le développement de WordPress, justifiant pleinement l’acquisition de WooCommerce. D’autres sociétés moins importantes utilisant WordPress.org ont été rachetées au fil des ans.
On peut citer à ce titre BuddyPress, Gravatar, Simperium ou Longreads. Atavist a été acquis en juin 2018, puis ZeroBS CRM et surtout Tumblr en août 2019. Le rachat de Tumblr, qui avait perdu beaucoup de sa valeur, a été fait pour une somme probablement inférieure à 3 millions de dollars.
Source: https://tracxn.com/d/acquisitions/acquisitionsbyAutomattic
Les extensions payantes de WordPress.com dans l’écosystème WordPress.org
Ces différents rachats visent tous à une même finalité : enrichir le contenu de WordPress et pouvoir proposer des offres (payantes) de plus en plus intéressantes pour les utilisateurs. Cette tendance est nettement visible depuis plusieurs années maintenant avec le développement par Automattic de plugins sur le modèle freemium.
Le meilleur exemple est certainement le plugin Jetpack mis au point par Automattic. Celui-ci intègre une cinquantaine de modules permettant d’améliorer un site créé sous WordPress dans le domaine du design, de la sécurité et du marketing. Depuis son lancement, Jetpack a été installé plus de 5 millions de fois, en faisant l’un des plugins majeurs au sein de l’écosystème WordPress. Il rejoint en cela des incontournables de la plateforme tels que Yoast SEO, Contact Form 7 ou WooCommerce.
La particularité de Jetpack, c’est que cette extension comporte des fonctionnalités payantes pour les utilisateurs. Plusieurs offres sont proposées selon que vous soyez un webmaster indépendant ou une entreprise. Les fonctionnalités payantes incluent l’intégration à Google Analytics, de nouveaux outils SEO, la création de publicité, l’ajout d’un système de recherche avancé, la sauvegarde quotidienne ou en temps réel du site et l’accès au service d’hébergement de vidéos VideoPress.
Utilisables également sur une installation WordPress.org (à condition de se créer au préalable un compte sur WordPress.com), les services de Jetpack rompent avec le principe originel du logiciel libre. La volonté d’Automattic de monétiser au maximum la solution WordPress semble aller à l’encontre de ses principes premiers. Faut-il y voir l’influence directe de son co-auteur Matthew Mullenweg ?
On peut aussi s’interroger sur le système d’affiliation que propose WordPress.com à savoir Refer.WordPress : Affiliation WordPress.com, JetPack & Woocommerce mis en place en 2017. Refer.WordPress est un programme par lequel vous allez promouvoir WordPress.com, WooCommerce et Jetpack auprès de vos clients et gagner des gains d’affiliation pour votre fidélité. Ce programme a été proncipalement créé pour les professionnels WordPress, y compris les développeurs de sites et de plugins, les concepteurs et les créateurs de thèmes. Il rentre en concurrence directe avec l’écosystème de WordPress.org.
L’omniprésence de Matthew Mullenweg : le cas Gutenberg
Officiellement, le PDG d’Automattic est seulement membre honoraire de l’association WordPress.org. Pourtant, son rôle paraît revêtir des fonctions beaucoup plus larges, comme en témoignent les dernières orientations importantes prises par WordPress, parfois au détriment de la communauté des utilisateurs qui a toujours constitué l’une des grandes forces du projet.
Le cas du nouvel éditeur de texte Gutenberg est symptomatique des reproches pouvant être faits à Mullenweg depuis quelques années, à savoir un rôle trop important au sein de WordPress.org, impacté par les décisions commerciales prises par Automattic. En 2017, le PDG de la société éditrice de WordPress annonce le test du plugin de l’éditeur de texte Gutenberg. Plus évolué, celui-ci utilise un système de blocs dynamiques en remplacement des traditionnels widgets. Alors que la communauté est peu favorable à ce changement, Mullenweg va prendre la tête du projet puis en confier le développement à deux proches collaborateurs, Matias Ventura et Joen Asmussen.
Malgré les critiques, la sortie de WordPress 5.0 en décembre 2018 marque une petite révolution avec l’intronisation de Gutenberg comme nouvel éditeur. En dépit de retours souvent négatifs face à un système jugé peu intuitif et sans réel apport, Gutenberg est bel et bien devenu le nouvel éditeur par défaut de WordPress. Pour Automattic, l’enjeu est clair : proposer un éditeur plus moderne, capable d’attirer de nouveaux clients. Les anciens utilisateurs ont quant à eux plébiscité en masse le plugin permettant d’utiliser l’ancien éditeur de texte.
Ma réflexion personnelle
À l’aune de ces informations, on observe un rapprochement certain des intérêts de WordPress.com détenu par Automattic et de WordPress.org. Le point commun entre les deux entités est bien entendu le co-auteur de WordPress, Matthew Mullenweg, dont le rôle est toujours essentiel quand il s’agit de déterminer le futur du CMS numéro 1 dans le monde.
Cette influence de plus en plus prégnante témoigne de prérogatives élargies qui font passer les solutions payantes de WordPress.com au premier plan. Pour les utilisateurs de la version gratuite WordPress.org, de nouveaux changements contraires à leurs intérêts sont à redouter dans un avenir pas si lointain…
La force de la communauté sera difficile à battre …. le risque pour lui de voir un projet concurrent reprendre le flambeau
Super article. Personnellement, en tant qu’utilisateur de WordPress (je parle de la version .org) depuis “un certain temps”, je ne changerai pas de CMS même si certains changements se dessinent à l’horizon avec une vision plus commerciale de ses concepteurs. Ne serait-ce que parce que pendant des années WordPress est resté quasiment le seul CMS accessible pour de nombreux internautes. Son utilisation reste quand même simple voire amusante quand on teste des plugins et que l’on apprend progressivement à mettre les mains dans le code. Dans un système où tout se paye, même l’eau que nous buvons, il fallait s’attendre à ce que le tout gratuit commence à diminuer. Je pense quand même que les utilisateurs de la version .org ont encore de beaux jours devant nous.
Bonjour,
j’étais assez septique au début mais j’avoue que je suis conquis par Gutenberg et ses possibilités, un bon point pour Matt.
Pour l’avenir de WP, il y a effectivement bcp de questions à se poser et surtout qui décide ? il va y avoir très rapidement 2 “produits” identiques ou avec peu de differences…
Du coup (re)partir sur Joomla ?
Quelques points à ajouter au débat de ma part:
1. Les solutions pour créer des sites ont explosé en 10 ans. Vaut mieux comparer WordPress aux Shopify, Wix et Squarespace, au lieu de le comparer au WordPress d’antant.
2. Je crois qu’il est sage de faire main basse sur la direction du projet WordPress. La démocratisation pure du leadership aurait été un brin risqué puisque la communauté active représente mal les usagers lambdas.
Les WordCamps sont remplis de consultants / dev WP, de business de thèmes ou plugins, et d’hébergeurs. Chacun a un intérêt spécifique à faire grossir sa propre clientèle au détriment peut-être de l’objectif initial: démocratiser la présence en ligne.
3. WordPress est une vieille solution. Difficile d’expliquer à un usager lambda les aléas des backups, de la sécurité en ligne et les mises à jour des extensions. Ah oui, la version de PHP aussi! Ce sont des problématiques d’une décennie passée.
4. En ce qui concerne Gutenberg, la nécessité d’un block builder dans le core est urgent. Il suffit de regarder la montée spectaculaire des page builder, notamment Elementor avec ses 125 salariés, pour comprendre le besoin criant. À mon humble avis, Gutenberg est en retard de 3 ans. Il avance bien tout de même.
5. Les investissements et acquisition d’Automattic ont du sens. Mais tant qu’Automattic reste une société privée, on ne peut deviner qu’est-ce qui les motive d’un point de vue business.
6. Matt Mullenweg est un fin diplomate pour avoir su créer une des communauté les plus actives autour d’un projet open source. Il a certainement des failles, et doit apprendre de ses erreurs. Surtout à l’heure où sa société a dépassé les 1,000 salariés. La vraie question qu’il doit se poser: est-ce que WordPress aura le même sort que Joomla dans 10 ans, ou bien toujours une force majeure dans la publication en ligne?
Qui suis-je? Pour le contexte, je suis co-fondateur de MailPoet, un plugin WordPress depuis 2011.
Félicitation pour la vente de MailPoet à WooCommerce/Automattic.
Le mail a toujours été le parent pauvre de WordPress : la fonction is_email() ne supporte même pas la RFC822 (un ticket vieux de +10 ans #17491) alors que dire de la RFC6530.
En 2019, j’ai écrit un article “State of the Mail” en proposant une révision radicale de la politique mail de WP : https ://blog. mailpress.org/2019/04/02/state-of-the-mail-2019/
En 2020, j’ai proposé en tant que “proof of concept” de mes précédents écrits une encapsulation de wp_mail() (#49661)
Last but not least, beaucoup d’entreprises de ce côté de l’Atlantique et celles qui commercent avec le marché intérieur de l’Union Européenne doivent être en accord avec le RGPD ( la protection des données personnelles est inscrite dans la loi française depuis 1978 (sous VGE), le RGPD est effectif dans l’U.E. depuis le 25 mai 2018 et n’a pas grand chose à voir avec la notion de “privacy” plutôt perçu comme argument marketing aux USA) et là aussi il y a beaucoup de travail (une petite idée sur mon “State of the Privacy” : https ://gdpress. eu).
A terme, si WP, trop centré sur Gutenberg (javascript a dépassé php en nombre de lignes dans WP), ne fait pas ces efforts, un fork estampillé compatible U.E. verra le jour. Un retour aux origines en quelque sorte.
Bon courage dans vos nouvelles attributions